Confinement: à l'écoute de mes patients

Dimanche 17 mai 2020

La population mondiale se doit de rester confinée,  ce message est reçu différemment selon les sujets. 

 

Certains  vivent cette situation depuis longtemps. 

L’isolement, l’enfermement qu’il soit sociétal, psychiatrique, carcéral sont leur quotidien.

Seuls car solitaires, seuls car sans amis, sans famille ayant peu de liens sociaux.

D’autres souffrent de différentes pathologies rendant toute sortie, tout contact très angoissants ;par exemple les personnes souffrant d’agoraphobie, de T.O.C ou pour ceux appelés:”Hikikomori”.

Le téléphone et  les réseaux sociaux  sont parfois leur unique lien avec le monde extérieur.

Enfin, quelques-uns ont de réelles difficultés à ne pas se laisser envahir par  leurs proches. Ils sont toujours à l’écoute du  présupposé désir de  l’autre que cela soit dans leur vie privée ou dans leur vie professionnelle. Ils se retrouvent à fuir et éviter toute rencontre toute relation sur le long terme qui pourraient finir par les étouffer.

 

Face à cette contrainte de confinement, cette obligation à rester chez soi, qu’en est-il de leurs réactions ?

Pour ces personnes, cette « interdiction de sortie » alors qu’ils se sentent depuis toujours comme  entravés, empêchés et pour qui toute interaction externe ou interne est vécue comme un débordement émotionnel est une libération. L’activité professionnelle se faisant en télétravail, ils ne se sentent plus dans l’obligation, le « devoir de ».

 

L’extérieur, l’autre sont devenus potentiellement dangereux. Cette nouvelle situation leur permet de se permettre.

Ce confinement, vécu par tous, rend plus compréhensible aux autres ce qu’ils vivent au quotidien.

Cet éventuel partage les apaise, et même pour certains leur fait découvrir qu’ils ont quelques  capacités  et ressources pour affronter ce confinement qui isole et qui finit par nous dévitaliser.

Seuls  et solitaires, ils ont depuis longtemps développé des stratégies à vivre. 

Seuls, car enfermés avec eux même. Solitaires  au prise  par des tocs qui les entravent dans leur vie quotidienne, seuls tout simplement. Ils ont depuis longtemps dû inventer et réinventer  leurs têtes à têtes lorsqu’ils font face à ces temps vacants qu’ils ressentent comme des temps morts.

Aujourd’hui, la peur, l’angoisse semblent s’être déplacées. Ces gestes sanitaires qui sont demandés à tous, ils le font depuis longtemps. Ce partage les sort de leur isolement.

 

Pour eux, qui ont toujours réduits, voir mis à distance toute relation physique, sociale, développent l’envie de plus d’échanges téléphoniques et virtuels…ils semblent avoir moins peur de parler, d’exprimer leurs angoisses, de  ce qui les contraint et qui leur fait parfois honte. Ils osent déborder, de loin.

 

Depuis le début du confinement, l’obligation de faire du télétravail, de ne pas pouvoir se rendre à  des réunions familiales, donnent à certains une réelle respiration.

Ils ne se sentent plus dans le devoir d’être, dans l'obligation d'un partage d’espace, dans la trop grande proximité avec ces autres qui les envahissent. 

 

Alors que pour la plupart cette situation est dévitalisante où il n’ y a plus de différence entre l’espace professionnel et l’espace privé, plus de différence entre le dedans et le dehors. Cette obligation collégiale est entendue comme une injonction qui ne serait pas étrangère à ce qu’ils vivent au quotidien. Manquant  de  limite, tout les traversant les envahissant, ils sont dans l’impossibilité de dire non, non à un supérieur hiérarchique, non à un collègue ,un ami, un parent, ils sont corvéables à souhait. 

 

Cette injonction à ne pas sortir leur permet de créer une interface entre eux et le monde. Espace qui ne s’était jamais crée.

N’arrivant jamais à faire cet écart, ils ne peuvent prendre un temps  de réflexion, ils ont toujours vécu comme en apnée.

 

Ce confinement, cette obligation à rester chez eux  développent chez eux une capacité à s’écarter d’une situation qui les déborde.

Par exemple, lors d’une réunion en télétravail  ils se retrouvent à couper l’image ou à décider de ne pas y participer physiquement ;  protégeant  leur espace privé, leur intime. Ils peuvent mettre entre l’autre et eux même une distance qu’ils n’ont jamais su ni osé poser.

 

Protection à portée de main, le confinement leur donne le droit  face à une situation envahissante, paralysante, agressive. Droit qu’ils ne s’octroient jamais, de dire non, non merci, plus tard, pas maintenant…

 

Pendant nos entretiens, qui se déroulent en ce moment via Skype, Whatsapp ou même simplement par téléphone, ils prennent conscience  d’autant plus de ce manque d’interface et de l’importance  de créer cet écart  afin qu’ils ne soient plus traversés,   submergés,  anéantis  par  le monde extérieur, les autres.

Faire cet écart n’est pas une fuite, au contraire, il leur permet d’appréhender et de percevoir autrement. Apprendre à faire cet écart pour ne pas tout prendre dans le ventre. Faire, se permettre  cet écart dans l’espace professionnel et privé. Tricoter une interface entre le monde extérieur et son monde intérieur. S’écarter pour éviter la rupture ou la fusion, s’écarter juste pour respirer, souffler enfin.

Ce confinement pourrait-il apporter une prise de conscience de ce que représente l’isolement qu’il soit carcéral psychiatrique ou sociétal ?

 

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