L’homme sans lieu
Depuis quinze ans, j’ai pu observer un phénomène qui a émergé en thérapie ; les personnes ont des angoisses et développent des pathologies ayant souvent un noyau commun. Tout se passe comme si l’homme ne pouvait supporter aucun manque, aucune frustration, aucune attente. Les conduites addictives comme la boulimie, l’alcoolémie, le tabagisme, ainsi que les dépendances aux téléphones portables ,jeux en ligne, réseaux sociaux etc semblent des stratégies pour palier à toute béance, faille, défaillance dans une tentative de s’anesthésier, d’arrêter le temps, comme pour stopper tout mouvement, à la recherche d’un repos ,d’un apaisement, qui ne dure jamais.
Ils semblent comme descendus d’un train, restent sur le quai et regardent passer les autres. Comme une façon de se mettre à côté, d’être observateur et non acteur de leur vie. Rester entre deux trains, deux avions, en “stand by” ; passer une vie sans bouger, sans grandir ni vieillir. Ne pouvant s’inscrire, ils restent comme en lévitation, « Homme sans gravité », « atopique », sans lieu, flottant au travers des communications.
Individu sans gravité, il n’est plus touché, abîmé, transformé, mais, il ne touche plus rien!
« Aujourd’hui, notre valeur est fonction et ne se vérifie qu’en tant que l’on est performant socialement. Quand le sujet se retrouve hors du jeu social, il perd ses références, ses repères. Or sans valeur marchande, «l’homme est nu», rien ne le rattache; il ne croit en rien, il n’est plus crédible, il a perdu son étiquette...l’homme Les sujets sont devenus flexibles, capables de se modifier d’entreprendre des carrières diverses, mais il a perdu la place d’où il pouvait faire opposition Le tonus de l’homme va dépendre de l’aléatoire, d’une référence objectale.
La flexibilité des sujets, pourrait être une qualité adaptative, or cela se traduit dans une inconstance amoureuse amicale et professionnelle. Les conditions sociales renforcent ce sentiment d’intermittence et de non inscription, mieux vaut donc être en lévitation et survoler les événements. »
Charles Melman in « La nouvelle économie psychique »