Obésité: être hors cadre

Mercredi 11 avril 2012

L’obésité : prise d’espace et prise de place. Une  manière d’échapper à l’emprise...

Quel regard, le corps médical et soignant pose-t-il, sur des personnes en surpoids, des obèses, ainsi que sur des personnes dont on dit quelles ont des conduites alimentaires qui «dysfonctionnent»?

Quel est le regard des autres sur le "gros"? Or, être obèse n'est pas une identité! Que nous soyons médecins, diététiciens ou psychologues, politiques, que venons-nous faire sur ce terrain-là?

Dans certaines sociétés, l'obésité est devenue une «pandémie Â», elle serait  la pathologie du siècle ! Pourtant   deux milliards de personnes souffrent de malnutrition, et 18 millions meurent chaque année de faim. Questions de politique, de santé, de coût?

Quelle est la demande du sujet ainsi que la notre, face à ce problème de santé ? La notre, représentant celle de la société et du politique. Peut-être ne répond-elle pas uniquement à un problème de santé, à un malaise physico-psychique, mais également au souci d’une société qui souhaiterait les recadrer, les normer? Corps sociétal et médical, cadres médical et  thérapeutique face à un corps débordant…

L’obèse, le très gros, dépasse les bornes. Son physique visible par son ampleur, interroge, pose de nombreuses questions. Tout d’abord  celle des limites corporelles et, des repères physico-psychiques mettant en lumière les notions de dedans et de dehors. Puis, celle du rapport de tout homme à la nourriture, et des différences entre espèces humaine et animale. De son rapport au gras et au maigre. Cela pose enfin la question de l’influence de la génétique et ou de l’environnement ainsi que de l’impact de la filiation et de la relation mère-enfant  sur le développement d’une obésité?  On réalise que le très gros pose et impose aux non gros de nombreuses questions sur lui-même. 

L'obèse sort du cadre, est hors cadre. Il est hors du cadre physique, juridique, social et même médical. Cette prise de place semble difficile à vivre pour les autres corps, soi-disant normés, qui se sentent agressés, impuissants...

Ce sujet au corps de trop, ne renvoie-t-il  pas à un interdit majeur pour les autres ? Celui de prendre toute la place, voir, toutes les places. Se permettre d'envahir l’espace, se faire voir plus que les autres...Être trop! Être de trop!

« A à travers notre corps, et en particulier notre corpulence, passent des significations sociales très profondes. L’une des plus importantes est la suivante : la corpulence traduit aux yeux de tous la part de nourriture que nous nous attribuons, c’est-à-dire, symboliquement, la part que nous prenons, légitimement ou non, dans le partage de la richesse sociale. Â» In" Obèse bénin, obèse malin" de Claude Fischler.

L’obèse est vécu comme un débordement. Il prend trop de place, « il mange de trop, Â», « il prend de trop Â», il mange la part des autres...Il semble incapable de se contrôler.

Notre corps, s'inscrit dans la société dans laquelle, il vit et signe une adhésion ou non aux règles de partage. Or, sa soi-disant gloutonnerie, apparaît aux yeux des autres comme une violation des règles du partage de la nourriture, et , pourrait donc être, une menace des fondations de l'organisation sociale, renvoyant  le sujet, le citoyen, dans son rapport à la Loi : loi de la société, loi du père.

" L'obèse viole les règles qui gouvernent le manger, le plaisir, le travail et l’effort, la volonté et le contrôle de soi. En d’autres termes, l’obèse (son corps le trahit) passe pour quelqu'un qui mange plus que les autres, plus que la normale, en un mot : plus que sa part." (B Brusset)

La figure du corps propre comme celle du corps social, ainsi que l’image de leur effraction, est le produit d’un discours socio-historique qui définit l’ordre patriarcal. En débordant, le sujet obèse déborde, envahit, s’attaque à la norme du corps social; il brise la standardisation dominante et enfreint une limite.

Mais que signifie avoir des problèmes de poids? A quoi renvoie ce surpoids?

Y a-t-il quelque chose au-dessus de ce poids? Qu'en est-il du corps médical, social face à ce corps obèse ? Qu’est-ce qui pèse si fort?

Les mots utilisés pour évoquer l'obésité dans la langue française sont plein de sens ....et n'évoquent plus la même chose depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le gros , sujet considéré comme costaud, fort, bon vivant, pléthorique, est perçu aujourd'hui dans certaines sociétés, comme mou flasque. Ces qualités sont devenues des défauts, des failles. Elles sont associées à un manque de vigueur et de courage.

Son ampleur est perçue, de manière très ambiguë. Dès qu'il ouvre la bouche pour manger, c'est de trop...Il est ressenti comme un cannibale, il ne mange pas, il dévore! 

Il semble également que, dans le discours de certains  personnes,  désigner un sujet comme étant obèse, semble: assigner, fixer celui-ci, à une place inamovible. Face à cette masse de chair, rien ne changera, ni ne bougera. Corps que l’on pourra malaxer, fondre mais, qui retrouvera toujours son ampleur l’obèse semble inoxydable.

Depuis quelques années des soignants essayent de comprendre cet autre que représente l’obèse. Ce même,  ce sujet, qui n’est pas eux mais qui pourrait l’être...Ils s’interrogent sur la méthode, faut-il toujours proposer des régimes restrictifs, de la culpabilité? Que vient chercher le sujet obèse ? Que demande-t-il aux soignants ?

Le sujet obèse vient chercher: un régime, une limite, un nouveau regard, une parole plus ou moins magique. Or, donner une réponse collée à cette demande, serait, comme l’annonce d’un rechute annoncée; attente quasi magique d’un changement, tout en partant battu d’avance. Mise en scène d’une bataille avec soi-même, lutte, qui n’a pas de fin, sans faim, où le soignant est mis à la place de n'être qu'un spectateur impuissant.

Tout se passe comme s,i sur cette scène se rejouait une pièce ancienne où, il est question de pouvoir, du rapport à la Loi. Ces «Pénélope» font et défont, fondent, prennent et reprennent du poids. Arrêt du temps, qui provoque un  morcellement de l’espace-temps.

Mais il y a toujours une tentative de reprise... Cette demande ne semble jamais assouvie, comme boulimique. Tout se passe comme si les mots, comme la nourriture ingérée, ne rassasiaient pas,  puits sans fond, espace psychique sans fondement; rien ne s’inscrit, rien n’est retenu, comme une ardoise magique, tout s’efface, tout est à recommencer, reprise infinie, pas de reste, ni dans l’assiette, ni dans la tête...

Ce qui me semble important de retenir dans : Â« sujet-obèse Â», c’est le terme : Â« sujet Â». Être, surtout à son écoute, transformer ce corps du délit en corps communiquant, mettre du lien, « tricoter Â»un pont entre lui et l’autre, zeugma entre l’extension corporelle et cette attention constante qu’il suscite.

Enfant porté puis supporté par la famille, par la société, il semble indispensable d’avoir une nouvelle approche du sujet obèse, trop gros, qui nous fait face. Il ne peut ni ne veut rentrer dans des cases. La réflexion pourrait porter sur l'idée d’une écoute puis d’un accompagnement pour lui permettre de se réapproprier, voir, de s’approprier son corps, sa parole, lui permettant alors de trouver un chemin, un espace qui lui conviennent, même en en faisant peut-être de trop, si cela l’équilibre, afin qu’il puisse s’inscrire, et, que les mots,, les mets puissent être ressentis et donc rester. 

Passer de la sensation à l'expression d'une émotion : cela pourrait être une démarche où, l’ébauche d’une envie, d’un désir voir de plaisir pourrait émerger.

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